Dans la lignée de ses travaux de redécouverte de la musique baroque rhénane, Dulcis Melodia propose en 2019 une nouvelle création axée sur la musique strasbourgeoise du XVIIe siècle au moment où l’Italie fait souffler un vent créateur sur toute l’Alsace. Au centre de ce programme qui s’articule autour de la voix et d’instruments à vent (dont le cornet à bouquin qui connaît alors ses heures de gloire) on découvrira, dans une alternance subtile de timbres, deux recueils très intimement influencés par l’Italie dont la diffusion s’est à l’époque généralisée dans toute la région et bien au-delà.

 

Respira ô anima...

Souffle nouveau dans la musique strasbourgeoise du XVIIe siècle

 

Ce projet de création proposé en 2019 par Dulcis Melodia s’appuie sur deux recueils strasbourgeois contemporains, tous deux témoins de la musique pratiquée à Strasbourg au milieu du XVIIe siècle. Tandis que le premier est consacré à des motets pour voix solistes, le second réunit des sonates essentiellement en trio (2 instruments de « dessus » et basse). Deux conceptions différentes mais complémentaires d’un courant artistique alors en plein essor : la vénération des modèles italiens.

 

David Thoman (1624-1688) : ouvrir la « voix »

David Thoman (von Hagelstein) est un personnage atypique à plus d’un titre. Né à Lindau, fils d’un peintre réputé, il arrive à Strasbourg en 1642 non pas dans un cadre musical, mais pour étudier le droit à l’université (dont il sortira d’ailleurs en 1650 muni du titre de Docteur en droit). Pourtant dès 1643 il est nommé organiste de l’église St-Nicolas à Strasbourg, poste qu’il occupera au moins jusqu’en 1649. L’activité déployée par Thoman à St-Nicolas dépasse sans doute très largement la tâche d’un simple organiste.

Par l’œuvre qu’il a fait publier à Strasbourg l’année de son entrée en fonction (Sacrarum laudum, 1643), Thoman se présente en effet comme un compositeur de musique vocale déjà reconnu. La suite de sa carrière sera à l’image de ses débuts : on lui confiera des fonctions musicales, politiques et économiques à la cour de Neuenstein, à Augsbourg et à Ratisbonne où il mourut en 1688.

 

Les Sacrarum laudum, unique vestige d’un talent avéré…

        

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L’œuvre de Thoman parvenue jusqu’à nous est malheureusement très lacunaire, puisque les Sacrarum laudum sont le seul recueil conservé de ce compositeur, ce qui rend l’œuvre d’autant plus précieuse. D’autres compositions de Thoman ont été inventoriées à Ansbach, Stuttgart et Ratisbonne, mais ont toutes été perdues. Cette situation est particulièrement regrettable dans la mesure où les œuvres perdues étaient des productions de la maturité du compositeur mettant en scène des effectifs vocaux et instrumentaux variés, autrement dit tout le contraire des Sacrarum laudum qui, indépendamment de leur qualité exceptionnelle (sur laquelle on reviendra plus loin) représentent la première publication d’un jeune homme de 19 ans.

Une écriture vocale directement inspirée par l’Italie

 

Si la formation musicale de David Thoman reste mystérieuse, l’inspiration qui guide les Sacrarum laudum est annoncée d’emblée dans la préface du recueil :

         « Voici déjà quatre ans [donc en 1639] que se rendit en ma chère ville natale de Lindau un italien aussi habile à composer les concerts les plus agréables qui soient, qu’à toucher l’orgue avec une rare élégance. Après y avoir confirmé sa remarquable en cet art par d’éclatantes démonstrations marquées au sceau d’une reconnaissance unanime, il suscita chez beaucoup la plus vive admiration en même temps que le plaisir d’embrasser l’étude la plus agréable qui soit, si bien que chacun n’eut pas plus ardent désir que de parvenir à le fréquenter assidûment. Je me suis trouvé le premier d’entre eux, moi qui (comme les autres dont quelques-unes des remarquables productions ont été ajoutées en fin de ce volume) grâce à la sûreté de son enseignement durant presque une année, ai accompli des progrès qui ont comblé mes vœux les plus chers. »

 

L’identité de cet « italien », dont Thoman parle avec tant d’éloges dans sa préface, n’a pour le moment pas pu être déterminée, mais ce texte traduit surtout le goût qui fera référence à partir du milieu du XVIIe siècle aussi bien à Strasbourg qu’en Alsace et plus généralement dans tout le bassin rhénan. Ce qui séduit dans l’art vocal italien – et que Thoman maîtrise parfaitement dans ses œuvres – est la richesse du chant soliste (à mettre en opposition avec l’érudition polyphonique héritée de la Renaissance : ici la voix est au service du texte qu’elle met en valeur et sert en permanence au point d’en souligner chaque mot. Il en découle une formidable « économie de moyens », les pièces de Thoman étant d’une puissance expressive exceptionnelle malgré des effectifs réduits au strict minimum (le plus souvent deux voix et basse continue, comme c’est le cas dans 10 motets sur les 15 que compte le recueil).

 

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Franz Rost (av. 1640-1688) et son précieux manuscrit

Nous disposons d’assez peu d’indications biographiques sur Franz Rost. Nous supposons qu’il arriva en Alsace pour y effectuer ses études notamment au collège des jésuites de Molsheim, autour des années 1655, en préparation de son ordination. Par la suite, il fut chanoine et chantre de la collégiale de Baden puis vicaire de la collégiale Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg à partir du mois de juillet 1664. Il est par ailleurs fort possible qu’il assura au moins ponctuellement la fonction d’organiste à Saint-Pierre-le-Jeune. Il décèdera à Strasbourg en 1688.

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L’œuvre d’une vie

 

Le Codex Rost est un important recueil de pièces instrumentales transcrites de la main de Franz Rost dans la seconde partie du XVIIe siècle. Il se décline en trois livres de parties séparées (Violino Primo, Violino Secondo et Organo) reliés et renferme plus de 150 pièces instrumentales et un motet : un véritable trésor comprenant des sonates, le plus souvent à deux dessus, de compositeurs (essentiellement italiens, mais aussi autrichiens et flamands) plus ou moins connus au XVIIe siècle. Un grand nombre de pièces restent anonymes, même si une partie d’entre elles ont pu être identifiées dans d’autres collections mentionnant leur origine et/ou compositeur.

Cette riche compilation d’oeuvres instrumentales achevée en 1688 est léguée après la mort de son auteur à Sébastien de Brossard qui, établi à Strasbourg à ce moment-là, l’accueille comme « un vray trésor d’autant plus considérable qu’il est unique... et c’est une des premières et des meilleures acquisitions que j’ay faitte en ce pays là...». Sébastien de Brossard mesure bien la valeur de ce patrimoine qui lui est transmis et le lèguera en 1726 – tout comme l’importante collection musicale qu’il conservait - à la Bibliothèque Royale de France contre une rente à vie. Ce manuscrit est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France.

Une collection très ciblée

 

Le Codex Rost a un aspect très « moderne » dans la mesure où la quasi-totalité des pièces qu’il contient sont composées en trio, forme d’écriture qui, peu à peu, fera ses preuves au sein de l’art instrumental baroque pour devenir absolument essentielle au XVIIIe siècle (notamment à travers les sonates en trio de Corelli ou Bach pour ne citer que les plus célèbres).

Il y est également de toute évidence fait une large place aux instruments à cordes (notamment le violon), ce qui représente aussi une forme de modernité : si le début du siècle mettait essentiellement les vents (flûtes, chalémies, cornets, etc.) à l’honneur, la deuxième moitié du XVIIe siècle verra le développement des cordes et tout particulièrement du violon. Notons également la mention d’autres instruments à cordes, plus rares que le violon, qui semblent avoir retenu l’attention de Rost, notamment la viole d’amour expressément demandée dans certaines œuvres.

L’origine géographique des pièces retenues par Rost est enfin très avant-gardiste : l’Italie est privilégiée dans plus de la moitié des œuvres « attribuées », sans compter les œuvres « anonymes » qui, dans leur écriture, sont apparentées à de la musique italienne.

Comme nous l’avons déjà signalé, une recherche de concordance entre les oeuvres du manuscrit et d’autres sources (autres manuscrits ou éditions d’époque) a pu rendre à certaines compositions « anonymes » leurs auteurs et démontrer que d’autres attributions étaient incorrectes. Des liens ont été établis avec les collections Duben à Uppsala, Karl Liechtenstein-Kastelcorn à Kromeriz et celle de la cathédrale de Durham. D’autre part, 45 pièces du manuscrit sont présentes dans des éditions de l’époque. Les autres pièces n’appartiennent apparemment qu’à ce manuscrit, ce qui participe évidemment au caractère précieux du recueil strasbourgeois.

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Programme prévisionnel

David Thoman (1624 — 1688), Sacrarum laudum (Strasbourg, 1643)

Domine non sum dignus soprano et basse continue
Decantabat populus Israel 2 sopranos et basse continue
Respira ô anima 2 sopranos et basse continue
Hodie Rex glorie 2 sopranos et basse continue
O Jesu 2 sopranos et basse continue
Domine exaudi vocem meam 2 sopranos, cornet à bouquin et basse continue
Ego sum Dominus 2 sopranos, cornet à bouquin et basse continue
Domine inclina coelos tuos 2 sopranos, 2 cornets à bouquin et basse continue

 

Franz Rost (av 1640 — 1688), Codex Rost

 

Anonymus – Sonata LV 2 flûtes à bec et basse continue
Anonymus – Sonata LXX 2 flûtes à bec et basse continue
Anonymus – Sonata I 2 cornets à bouquin et basse continue
Anonymus – Sonata LIV 2 cornets à bouquin et basse continue
Maurizio Cazzati (1616-1678) – Variationes XLVI 2 cornets à bouquin et basse continue
Giacomo Carissimi (1605-1674) - Salve, puellule soprano, 2 cornets à bouquin et basse continue

Dans le cas d’une diffusion pour une structure disposant d’un grand-orgue, on pourra ajouter 4 pièces d’orgue en remplacement de 3 autres morceaux du programme :

Bernhard Schmid II (1567 — 1625), Tabulatur Buch (Strasbourg, 1607)

 
Labra amorose e care (d’après Giovanni Gabrieli)
Passo è mezo italiano in F
Gagliarda seconda
Fuga duodecima, à 4 (d’après Orfeo Vecchi)

 

Distribution

Anne-Sophie Waris soprano           vlc
Sarah Gendrot-Krauss soprano
Céline Jacob
cornet à bouquin et flûtes à bec
Liselotte Emery
cornet à bouquin et flûtes à bec
Jean-François Haberer
orgue et clavecin

 

Détails pratiques

Durée du programme : 70 minutes (possibilité d’un entracte)
L’ensemble est en mesure d’assurer la prestation « clé en main », comprenant la mise à disposition, transport et accord d’un orgue positif et d'un clavecin, mise à disposition et installation de l’ensemble du matériel de scène (éclairage, pupitres, etc.)
L’organisateur se verra remettre au minimum un mois avant le concert le programme définitif détaillé, comprenant notamment l’ensemble des textes chantés ainsi que leur traduction.

 

Codex ROST : Sonata LXX (extrait)

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